Après le Big Bang

Je voudrais vous parler d'un vide étrange. Le vide de la couverture qui se rabat sur la dernière page d'un livre. Le vide de l'écran noir après le dernier épisode de la dernière saison d'une série. Le vide que laissent les histoires derrière elles.
La semaine dernière, j'ai terminé The Big Bang Theory pour la troisième fois, dans un état émotionnel que je qualifierais de… disproportionné.
Avec ses boîtes à rire permanentes, ses centres d'intérêt peu variés, son humour parfois grossophobe flairant bon les années 2000 et ses lifegoals étasuniens de succès, d'enfants et de mariage, cette sitcom aurait de quoi agacer, ou laisser beaucoup de monde indifférent, à raison. Malgré cela, envers et contre tous ces défauts, Big Bang me cueille systématiquement au plus profond de moi-même (je vous ai dit que c'était disproportionné). Une question se pose alors naturellement : pourquoi ?
The Big Bang Theory est une sitcom étasunienne diffusée entre 2007 et 2019. En mettant en scène des personnages principaux majoritairement scientifiques, socialement inappropriés et passionnés de pop culture, elle a contribué largement à la représentation auprès du grand public de la « culture geek ».
Aujourd'hui moins ignorée, moins décriée, cette culture aux contours difficiles à définir, qui peut rassembler de façon étrange, sous un même drapeau, les fans de manga et les collectionneurs de trains miniatures, a longtemps été vue comme réservée aux franges les plus étranges de la population : celles et ceux qu'on observe de loin, seuls dans leur coin, ces matheux aux goûts étranges… Rappelons tout de même que le mot « geek » désigne au départ un fou du village, un homme sauvage dans les freak shows.
Quand Big Bang débarque en 2007, beaucoup de geeks ne se rendent sans doute pas compte qu'ils sont sous-représentés, voire inexistants dans la culture populaire. Ils découvrent plutôt la joie de leur représentation soudaine, l'existence d'un nous à l'écran. Vous aurez compris que si j'en parle, c'est parce que j'ai fait partie de ces gens.
Bien entendu, les portraits dressés dans la sitcom sont caricaturaux. Pour certaines personnes, c'est trop, cela tire même sur de la moquerie. Je ne pense pas. Avec Big Bang, j'ai compris qu'une histoire, et encore plus s'il s'agit d'une comédie, joue avec sa capacité à tout amplifier. Les défauts des personnages, les blagues, les dialogues, les situations… tout est exagéré. Personne n'est à 100% comme Sheldon… mais voir Sheldon nous fait parfois penser à nous-mêmes à 5%, et ces 5% sont suffisants. C'est comme s'il fallait en faire trop pour nous attraper.
Quand je pense à cette tendance à l'exagération, cela me rappelle un phénomène lié à l'expression orale, que vous avez peut-être rencontré si vous vous êtes déjà entendu parler en public. Que ce soit à l'occasion d'un podcast, d'un cours, d'un exposé que vous avez dû faire, vous avez peut-être remarqué que vos propres réactions, votre propre voix vous semblaient plus ternes à réécouter qu'à produire sur le moment même. Un peu comme s'il fallait, là encore, veiller à amplifier nos effets, à « surjouer » en quelque sorte, si l'on voulait que le résultat final paraisse juste un peu moins lisse auprès du public.
Quand Big Bang s'est terminé, j'ai donc vu de l'amplification, mais j'ai aussi vu de l'amplitude. Les personnages avaient parcouru un fameux chemin, en douze ans, et nous aussi, derrière notre écran. Comme Friends l'a sans doute été pour beaucoup de monde, cette sitcom est devenue le marqueur d'une époque pour celles et ceux qui l'ont suivie au cours d'une décennie (et plus) de leur vie. Il y a quelque chose de très humain dans le fait de constater que quelqu'un, ou qu'un personnage, a grandi, a avancé dans la vie. Les histoires nous touchent donc aussi parce qu'elles nous permettent d'assister à cette évolution, et pour les livres, de s'en construire une image.
Quand je réfléchis aux histoires que j'aimerais écrire, tout cela me rassure. En science-fiction, on a tendance à beaucoup se focaliser sur l'idée, sur le concept fort qui va porter notre récit. Il ne faudrait pourtant pas oublier qu'il peut suffire de peu de chose pour rendre une histoire prenante et des personnages attachants.
Et vous, quelle série, quel film, quel livre, quelle histoire vous a accompagné(e) sur une période emblématique de votre vie ? Quelle histoire a laissé un vide quand elle s'est terminée ?
Pour en savoir plus
Pour en apprendre un peu plus sur The Big Bang Theory, je vous recommande d'écouter La méthode scientifique, qui y avait consacré un épisode en 2017 :
The Big Bang Theory : mon geek, ce héros
J'ai par ailleurs eu l'opportunité, grâce à Mana & Plasma, de discuter avec David Peyron, auteur du livre « Culture geek » et invité de l'émission. C'était à l'occasion d'une table ronde au festival Les Intergalactiques que nous avons partagée pour parler des oeuvres « cultes ».
La playlist
Mon ami Winny Taniguchi m'a demandé de lui proposer une playlist musicale pour son label Galaxie Pop... c'est désormais chose faite ! vous pouvez écouter « La playlist à Saïd » et les différents morceaux (tous en français) que j'ai sélectionnés pour l'occasion.
Retour sur les Utopiales
Il y a trois semaines, je vous ai proposé d'écouter en avant-première mon bilan des Utopiales 2023, mais pas sûr que le lien ait fonctionné correctement... Voici donc de quoi vous rattraper. Bonne écoute !

